Il y a cinq ans aujourd'hui, mon petit frère Guy nous quittait pour toujours, mordu mortellement par le cancer du poumon, une saleté, une cochonnerie, une maladie abominable qui frappe sans avertissement et presque toujours sans espoir.
Guy n'avait que 45 ans. C'était un être d'exception, un musicien, un artiste, un enseignant, un créateur, un frère aimé. Le plus jeune de nous cinq.
J'ai éprouvé pour ce frère, une tendresse profonde. Lorsque ma mère revint de la maternité avec ce tout petit bébé, tout de suite l'amour m'envahit. J'ai joué avec lui, je m'en suis occupée et longtemps, nous nous sommes tenus par la main. Je l'ai aimé sans condition même pendant ses 13 ans, quand il a reporté sur moi sa colère d'adolescent.
Guy aimait le bois, la bière, ma mère, la photo, mes enfants, le cinéma, faire de la musique, être entouré de monde, cuisiner, jouer à Diplomatie et à Donjons Dragons, critiquer, se coucher tard, préparer des fêtes pour ses amis, penser différemment de la masse, faire le sérieux et pêcher avec mon père et mes frères.
Par devoir de mémoire, je publie ici un texte que j'ai écrit peu de temps après son décès, envahie par la peine et la tristesse d'avoir perdu une des personnes les plus importantes pour moi.
Tu me manques, mon frère. Je t'aime.
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Faire face
avec toi à la maladie et aux traitements, avec toi et mieux encore, mon frère:
toute ta douleur, nous aurions été capables
de la prendre en nous pour t’en affranchir tant nous nous sentions inutiles, tant
nous voulions te voir libre et soulagé.
Je ne pouvais
que me tenir près de toi. Plus près encore. Plonger dans tes yeux, y lire ce
que tu brûlais de dire. Chaque parole pèserait moins lourd sur ta poitrine et
j’étais prête à tout entendre, ne te l’ai-je pas dit?
Je regardais
tes mains, quand tu étais hagard et perdu. Je comparais nos mains, nos doigts,
nos articulations. J’ai cherché et retrouvé les signes de fraternité. Oui, tu es
bien mon frère.
Faire face
avec toi et à tout. Faire face au monstre de la maladie, pallier tes pertes, te
protéger, adoucir ton jour, l’heure présente, cette minute-ci, celle qui
suivra. J’ai guéri du cancer, tu en mourais doucement ; comment vivre avec
cela? Je voulais recueillir ta peine, entendre gronder ta colère, mener à tes
côtés ta révolte. Je voulais être proche, toute proche, avec toi, toujours.
Tu circulais
dans les couloirs, le moins diminué possible, tout petit, amaigri mais si vif!
Mort ou vif. L’ambiguïté de la maladie, quand on est aux soins palliatifs, tu
n’en voulais pas, il fallait choisir, et puisque tu étais vivant… il fallait
vivre! Tu étais fier et digne et j’étais fière de toi.
Je te serrais dans mes bras avec toute la tendresse
et l’amour dont j’étais capable. Mes bras autour de tes épaules. Mes deux bras
autour de toi. J’ai embrassé ton front. Examiné ton visage. Posé ma main sur ta
poitrine pour mieux sentir ton coeur battre, pour être encore plus près de ton
corps frêle mais palpitant du désir de vie. Plus près du coeur, là où se terre
la peur: je voulais l’entendre et la prendre sur moi.
Plus proche,
laisse-moi être plus proche encore.
Laisse-moi
tenir ta main, comme lorsque nous étions enfants, laisse-moi appuyer ma tête
contre la tienne, dans cette chambre où le signal bref des machines rythme les
secondes qui s’écoulent. Tu es si grave, si concentré. Je sais que tu penses: «
il faut guérir, il faut aller mieux, il faut pouvoir vivre encore ».
Tout petit
devant la science colossale et chercher à endiguer une maladie démesurée, débridée,
impossible à contenir. David contre Goliath. Tu m’as demandé de t’accompagner dans
la salle de radio, je t’ai vu, minuscule, consentir à la grande médecine, j’ai
vu mon frère, cet indépendant, s’abandonner aux mains d’inconnues tranquilles
et expertes, un lit pneumatique le soulève, l’immense mécanique, encore les
bruits des machines, les lumières, le masque sur ton visage derrière lequel se
cache l’inquiétude. À quoi penses-tu? Est-ce que tu pries, toi athée? Mon frère
tout à coup obéissant, lui l’insoumis, l’affranchi, l’émancipé. Voilà que je
découvre ta fragilité devant ton médecin – un puissant - toi pourtant debout
devant tous les hommes, toi le plus courageux de nous cinq, celui qui n’avait peur
de personne.
J’ai été avec
toi, mon frère, j’ai été comme je suis, j’ai fait face comme j’ai pu, moi guérie,
toi si triste et en colère, si déterminé, j’ai fait de mon mieux, malgré l’injustice.
J’ai tenté d’être ton bouclier, comme tu me l’as demandé, mon petit frère. J’ai
fait comme j’ai pu. Je le jure.
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