mardi 23 avril 2013

Petits commerces

Les femmes du monde participent toutes d'une manière ou d'une autre à la vie économique de leurs pays. Les  femmes d'ici font ce qu'on appelle le petit commerce. Un moyen de renflouer la caisse de la famille ou du village et d'avoir une certaine autonomie.

Marie Wade, chez qui je mange le midi fait le commerce du kinkeliba, ce thé que les sénégalais apprécient au petit déjeuner et qui aurait des effets bénéfiques sur la tension artérielle trop élevée.

Lundi matin, je suis arrivée plus tôt chez elle. Je lui avais proposé de l'aider dans ses travaux quotidiens. Ici, on me traite un peu en princesse, c'est la terenga, mais je commence sérieusement à avoir envie de bouger un peu et  de participer plus étroitement à sa vie quotidienne.

Les branches de kinkeliba ont été cueillies par Marie elle-même. Il faut aller dans la brousse derrière le village, assez loin paraît-il mais je n'ai pas bien compris à quelle distance cela se trouve. Le temps et la distance au Sénégal, ce n'est pas pareil comme chez nous ; on peut vous dire : oh, c'est très loin hein! pour finalement comprendre que c'est à 15 minutes de marche. Marie part donc certains matins très tôt pour aller couper  les branches à la machette et les rapporter en gros fagots sur sa tête.

Une fois ramassées et transportées jusqu'à la maison, le travail consiste à prendre plusieurs branches et à les ficeler d'un ruban de feuille de ronier. On a alors comme un gros rouleau d'une longueur de 1,50 m à 2 m par 15 cm dans le plus fort.

Évidemment, la blanche arrive pas du tout habillée pour la circonstance. Marie rigole un peu avec son mari et me prête un de ses vieux pagnes. On s'installe sur des chaises. Par terre devant nous, dans une grosse bâche noire, les branches de kinkeliba et un grand paquet de feuilles de ronier que René utilise aussi pour tresser ses paniers.

Marie commence par déchirer une feuille de ronier pour en faire de longs rubans qu'elle relie par un noeud. Puis elle prend 6 ou 7 branches et les tient fermement dans ses mains fortes pour ficeler le tout ensemble. Il faut faire attention de bien tenir les branches, derouler serré et de ne pas se couper sur les bords tranchants des feuilles de ronier.

Tout se passe en silence ou presque. Marie m'indique par des gestes ce qu'il faut faire. Les bruits du village sont paisibles et doux: un coq qui chante, un âne qui braît, des enfants qui jouent, des villageois qui passent en discutant. Marie est une femme travaillante et de peu de mots. J'ai décidé d'arrêter de forcer sa parole et de suivre son rythme. De me taire un peu.

Les poules et les poussins nous tournent autour à la recherche d'insectes qui seraient restés dans les branches. Mais gare à venir trop près de Marie : en voilà un téméraire ayant reluqué une magnifique araignée : paf! Marie lui assène un coup du fagot qu'elle tient et le voilà qu'il décampe à la course suivi des autres poussins... Non, faut pas déranger Marie lorsqu'elle travaille.
Elle a dû aviser ses amies que je venais lui donner ce coup de main parce que plusieurs femmes sont passées une derrière l'autre pour lui dire bonjour et à ce qu'il m'a semblé, jeter un œil sur mes habiletés... " fais voir comment tu fais ?"  Bon, j'ai eu l'air de passer le test. Par chance, j'ai un peu d'expérience de jardinage chez moi, je ne suis pas trop empêtrée et malhabile dans les branches et les questions de fagots.

Nous mettons plus d'une heure à en rouler une vingtaine, mais en sénégalaise d'adoption, je commence moi aussi à perdre la notion du temps... Alors pour le temps exact...  Marie les vendra à une femme qui elle, les revendra au garage du village, ces petits commerces de bord de route pour
500Fcfa le paquet de dix fagots. 500Fcfa, c'est 1$ chez nous, un dollar pour être allée en brousse dès
le lever du jour, avoir transporté cet énorme tas de branches et avoir mis plus d'une heure à tout
empaqueter. Vingt fagots,  c'est 2$.

Entre  temps, on prend une pause pour aller au petit marché du village situé sur une place où se trouve un puits couvert et quelques arbres. On ne l'utilise que lorsqu'il y a sécheresse. Chacun a un robinet dans sa cour maintenant. Une dizaine de femmes s'y trouve pour y vendre de quoi préparer le repas du midi. Elles aussi font le petit commerce : dès 6heures, elles étaient au marché central à environ 15 km du village pour y acheter les légumes qu'elles revendont aux femmes. Pour revenir au village, elles devront donc prendre le car (200fcfa - 40 sous),  leurs marchandises sur leur tête ou dans des baluchons.

Aubergines, tomates, carottes et pommes de terre, manioc, oignons... Petits paquets de piment forts, de poivre et de légumineuses. Bien entendu, poissons, paquets d'oseille très apprécié ici. Certaines restent là à discuter un peu et d'autres me saluent :" Anne Marie! Fotoumna? " Je compte y retourner le plus souvent possible, l'ambiance y est détendue et bon enfant et on y apprend plein de choses...

Parmi elles, l'énorme travail de ces femmes en plus du travail domestique harassant qui leur est réservé, leur participation quotidienne à une économie non officielle mais bel et bien présente et cela, sans droits ou règles et pour quelques sous par jour uniquement. Les petits revenus qu'elles en tirent
sont importants puisqu'ils leur confèrent une certaine autonomie : elles peuvent ainsi participer, en plus de répondre aux besoins de la famille, à la tontine du village, une sorte de caisse collective gérée par ses membres et pouvant servir à toutes sortes de besoins des gens du village.

Cuisine : djiboud'jine

Bon, je l'ai écrit comme ça se prononce, mais voici une version du plat national du Sénégal, le riz au poisson.

Prenez deux ou trois poissons bien frais au marché du village ou en ville : ils vous coûteront
de 150 à 200Fcfa ( .30 à .40 sous) selon leur grosseur. Quelques mouches s'y frottent? Laissez tomber Santé Canada et faites comme les femmes sénégalaises : aussitôt à la case, mettez vos poissons dans
un bol d'eau fraîche avec les légumes et couvrez. Quand vous les aurez bien lavés et nettoyés, vous
aurez moins de risques d'être malade qu'avec le poisson qu'on vous vend chez Métro.

Pour les légumes,  comptez une ou deux petites courgettes amères, des carottes, disons deux, un morceau de manioc et un petit chou pommé coupé en quartier. Prévoyez également de la  pâte de tomate. Faites un feu de bois, déposez-y un gros chaudron de fer et faites-y chauffer deux pouces d'huile.

Pendant ce temps, dans un gros pilon posé par terre, pilez de l'ail, de petits piments, des grains de poivre, du gros sel et un peu de poivron vert. Si vous êtes plus chic, ajoutez du persil. Fourrez-en le poisson auquel vous aurez enlevé la tête et les viscères, sans l'ouvrir par le ventre  mais sur lequel vous aurez fait une grande fente en travers qui vous permettra d'y enfoncer entre la chair et les arêtes, la farce piquante.

Envoyez paître Louise Lambert-Lagacé et autres nutritionnistes avides de faire de la tivi et faites bien chauffer l'huile jusqu'au point de fumée. Sautez-y vos deux poissons qui auront reposé quelques minutes avec de l'oignon coupé en dés, du gros sel et du piment. Il faut les tourner une seule fois et très doucement pour qu'ils restent entiers.Lorsqu'ils sont bien grillés, retirez-les du chaudron et mettez-les de côté, à l'abri des mouches, bien sûr. Faites sauter dans la même marmite légèrement dégraissée les oignons et le reste de la pâte de piment dont vous aviez fourré les poissons. Ajouter de
la pâte de tomates. Dorez puis déglacez avec de l'eau de trempage des légumes.

Laisser cuire un peu, ajouter les légumes, rajoutez de l'eau pour couvrir et cuire doucement.Si vous avez un couscoussier, retirez les légumes cuits ( pas de temps déterminé, à chacune son goût et vous savez déjà faire la cuisine non? ) mettez-y le riz cassé bien lavé et déposez sur la marmite pour qu'il cuise presque complètement à la vapeur. Sinon, vous ferez du riz à part.B, quand tout ça est presque prêt, riz au couscoussier ou non et légumes, ajouter les poissons ainsi que les autres légumes et si
vous le l'aubergine pour donner un dernier coup de cuisson.Cuire jusqu'au goût de la cuisinière. Le
poisson devrait lui, être cuit en 20 minutes environ. Retirez tous les légumes et le poisson terminer la cuisson du riz dans le bouillon.

Pour servir, prenez un grand grand plat. Disposez le riz dessus puis dressez élégamment les légumes et les poissons. Invitez vos amis à prendre place sur la natte autour du plat. Vous pouvez offrir une
cuiller à chacun en prenant soin de leur dire qu'il est interdit d'utiliser la main gauche pour manger. La maîtresse de maison prendra bien soin de couper de sa main droite les légumes et de les lancer dans la portion de chacun des invités. lorsqu'on est rassasié, on se retire et on peut alors boire de l'eau.

 Et j'oublie le plus important : la terenga commande que, peu importe qui passe par votre maison à ce moment et si cette personne a déjà mangé ou non, vous devez l'inviter à s'asseoir et elle doit accepter, ne serait-ce que pour une bouchée...


5 commentaires:

  1. Bon, désolée pour tous ces problèmes de mise en page, j'en ai vraiment arraché et plusieurs erreurs se sont tout de même glissées... Ah, j'ai honte là....

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  2. on se fout des fautes... ca donne vraiment l'appétit!! merci!

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  3. Bonjour Anne-Marie , j'ai été à Lalane pour l'alphabétisation , même groupe que Carole Lepage ,ma coloc de chambre.Tu as Marie Wade pour famille d'accueil, peux-tu lui dire Bonjour pour moi . Comme je l'ai aimée cette douce Marie. Je lui ai envoyé des photos, peut-être seras-tu encore là quand elle va les recevoir . je goûte chacun de tes mots et à chaque fois je me replonge dans ce bel univers si chaud qui réconfortait mes vieux os et même les privait de leur arthrose. J'adore te lire , merci pour ce beau partage.

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  4. Tiens, du kinkeliba ? J'ai ça dans mes armoires depuis un bout. Ça me viens de l'unique famille africaine du village. Je vais oser y goûter en pensant à toi. Je vais goûter une saveur d'Afrique et de labeur de femme.

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  5. Humm, profite bien des repas sénégalais, puisqu'à notre retour, on oublie malheureusement vite les délicieuses saveurs d'un plat ayant mijoté 3h et le feu de bois n'est plus aussi accessible ! Bravo, c'est c'est vraiment plaisant de te lire, sa me rappelle de bons souvenir :)

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