vendredi 12 avril 2013

M pour Marie


Je ne sais pas comment vous décrire la pauvreté.
Je veux dire la décrire sans les clichés habituels, ceux qui passent à la télé ou sur les statuts Facebook.

Ça fait des jours que j'y pense. Souvent. Tout le temps en fait. Lorsque je suis en car ou en taxi, lorsque j'observe les gens, les enfants toujours enrhumés, les femmes qui vendent le café sur la rue, les hommes qui discutent devant un commerce.

Rien.
Rien ne me vient que ce que je dis ici.

Rien de nouveau, enfin rien que vous ne sachiez déjà. Et pourtant, elle est partout, n'est-ce-pas?
Dans la maison de Marie par exemple, où il faut refaire les toits de ronier des cases rongés par les termites.  Près du Bon Marché - libre service où rouille un tas de ferraille qu'on doit enjamber. Sur les devantures décrépies des boutiques. Dans les terrains vagues où s'amoncellent les déchets, les sandales esseulées, les sacs de plastique et les boîtes de conserve.  Là où des chantiers de construction restent inachevés jusqu'à la prochaine rentrée d'argent, les briques de ciment bien alignées sur le sol et envahies par les buissons...

Partout, je vous dit.  C'est ce qui saute aux yeux la première fois qu'on pose les pieds dans un pays du tiers-monde, non?  Cette odeur douceâtre de fruits trop mûrs. Ou étouffante, les moteurs mal entretenus crachant une fumée noire comme de la suie. Les bruits de klaxons, le sable et la poussière qui pénètre partout, jusque dans la bouche. Les graffitis, les poubelles à ciel ouvert, les bus chargés jusque sur le toit.

Et pourtant, ce n'est pas que là qu'elle se trouve, la pauvreté, enfin ce n'est pas ce qui m'indigne ou me trouble.

La pauvreté est dans la main Marie, dans le crayon qu'elle tient à la main.
Elle trace le M le a, le r, le  i, le e.

Marie ne sait pas écrire son nom.
Ni le nom de son père.
Ni celui de ses filles.

Marie a 30 ans. Trois enfants.
Marie est douce comme le sable fin de son pays et son regard aimant me chauffe comme un soleil.

Je suis assise sous l'arbre avec cette jeune femme à la charpente solide, au visage rond, sa tête coiffée d'un foulard coloré. Lorsqu'elle me voit chez l'autre Marie, celle chez qui je prends mes repas du midi, elle lance mon prénom dans l'air poussiéreux du village avec ce roulement dans la bouche, ces petits cailloux ronds qui tintent, me sourit et me tend la main ou le bras en demandant de sa voix douce "Anne  Marie!  Fotoumna? "  Comment vas-tu ? Marie est tout de suite devenue ma soeur. Sa petite fille Catherine se colle à moi et garde le silence, timide et douce. Elle me laisse jouer avec ses doigts et et ses cheveux fins roulés en petites perles noires.  Parfois, elle prend ma main aussi et joue avec mes doigts blancs. Elle a la bouche gourmande et les yeux en amande de sa mère.

Marie prépare le caldo - un plat au poisson de la Casamance et en faisant la cuisine, je lui apprends quelques mots en français : carottes, gombo, oignons, poisson, feu, chaudron.... Puis on s'assoit sous l'arbre, à l'abri du soleil, et son bébé à son sein, Marie trace les lettres de son nom, comme je le lui ai enseigné.

Les femmes ici ne savent ni lire ni écrire. Les pères n'ont pas jugé utile qu'elles apprennent, ils avaient trop besoin d'elles à la cuisine ou aux champs. Des femmes de 30 ans, des femmes nées en 1983 ne savent pas lire le nom de leurs enfants.

Plusieurs ont de petits commerces qu'on appelle "garages", des postes de vente sur la route où elles se regroupent sous des bâches de plastique à moitié déchirées ou sommairement couvertes de feuilles de palmiers. Ou parfois rien, que sous un arbre pour se protéger du soleil. Elles  y vendent de petits sachets d'arachides grillées, des oranges, des pastèques ou des feuilles de kingkeliba - une sorte de thé très apprécié au petit déjeuner, de la vannerie. Elles discutent, rient, font ce que toutes les femmes font lorsqu'elles sont ensemble. Elles savent combien d'argent elles ont en poche, combien coûte le 50 kg de riz brisé ou la bouteille de Gazelle qu'on offre les jours de fêtes.

Mais elles ne peuvent lire leurs droits, aider leurs enfants à l'école ni écrire leur nom sur une liste de présence lors d'une réunion. Un homme le fera à leur place...

Elle est là la pauvreté mais également l'espoir du Sénégal: dans la main de Marie qui trace maladroitement son nom dans le cahier Canada que j'ai acheté avant de venir ici.



11 commentaires:

  1. Et, il y a beaucoup d autres Marie , et a l, école, c est aussi rudimentaire, et ce n est pas tous les enfants....qui apprennent a lire et a écrire. Et on est en 2013 ,, c est ça la vraie pauvrete ,,,,

    RépondreEffacer
  2. Qui a écrit le message précédent? Ce n'est pas moi mais c'est ma miniature qui apparaît......?!?

    RépondreEffacer
  3. C'est pas moi, je le jure! (qui ai écrit avec ta miniature). Dans cette discrimination de l'éducation, ne retrouve-t-on pas, non pas un besoin de bras, qu'un contrôle, qu'une autorité absolue de l'homme sur la femme? Après avoir été dépendante de son père, elle devra l'être de son mari? De ses frères? De ses beaux-frères?
    C'est ce qui me révolte, cette acceptation sociale qui n'est pas sans rappeler le sort que réservent les musulmans aux femmes. C'est simplement plus subtil; il n'y manque que le tchador.

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Ouais, disons que tenir les filles loin de l'école a toujours servi le patriarcat....

      Effacer
  4. Merci A-M - tu écris très près du coeur !

    RépondreEffacer
  5. Pourquoi merci? C'est a moi de remercier mes lecteurs....

    RépondreEffacer
  6. c'est magnifique et émouvant, Anne Marie! Merci.

    RépondreEffacer
  7. Bonjour,
    J'ai lu le lien de votre blog via l'infolettre de Mer et Monde...
    Merci pour ce moment de lucidité et d'émotions... Je suis d'accord, l'éducation est une clé incroyable qui ouvre bien des portes, dont la toute première vers une société plus juste.
    Au plaisir de vous lire encore,
    Nancy

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Merci beaucoup! Votre commentaire est très apprécié!

      Effacer
  8. Bonjour Anne-Marie, j'habite non loin de votre lieu de stage, c'est à dire à LamLam, j'y suis enseignante en classe de CP (2e année au Québec). Il est vrai que l'accès à l'école est parfois difficile, surtout en dehors des villes, mais il y a de l'espoir, dans mon groupe, j'ai 30 garçons et 35 filles, c'est prometteur... même si les mamans m'ont demandé de cesser de donner des devoirs à la maison car leurs filles n'ont pas le temps de les faire à cause des tâches à effectuer.
    Si vous le voulez, je vous invite dans mon groupe ou à l'école, vous auriez l'occasion de discuter avec les enseignants et les enfants sur le sujet de l'enseignement et sur leur vision du futur. Les enfants ont conscience qu'ils sont l'avenir du pays, et même les filles commencent à rêver d'autres choses que de fonder une famille et de s'occuper de son mari...
    Mes coordonnées: Geneviève 77-288-85-33, école élémentaire Picheney de LamLam. Denis, Pierre et Adèle me connaissent.
    Sinon, profite pleinement de ton séjour, il restera gravé à jamais en toi, que se soit la pauvreté ou la richesse que tu y découvriras, ta vision de la vie en général sera changée et ce, même au Québec.
    Porte toi bien.

    RépondreEffacer
  9. Merci, j'aimerais bien si j'ai le temps, je communiquerai avec toi bientôt, je ne pars que le 16 mai.

    RépondreEffacer