mercredi 4 février 2015

Une toute petite phrase

Je suis allée voir ma médecin généraliste il y a quelques jours. Je spécifie "généraliste" parce que je vois aussi annuellement une spécialiste, chirurgienne-thoracique et oncologue, de la grosse pointure ça, non ? Mais là,  c'était pour les petits trucs habituels, les petites vérifications banales, le petit ordinaire, rien d'excitant.

On a jasé un peu parce que, même en ne me posant que ses questions d'usage,  cette femme va toujours un petit peu plus loin que la réponse brève que je lui fais. C'est une scientifique, une bonne médecin.

Alors que je lui expliquais à quel point les quelques semaines avant les scans de contrôle sont difficiles à vivre pour moi, à quel point ces moments-là sont anxiogènes jusqu'à me rendre folle, jusqu'à me faire oublier qui je suis et à me transporter hors de mon corps pendant des jours, elle m'a regardée et m'a dit en souriant : " Mais tu es guérie, Anne Marie".

Juste cette petite phrase. C'est entré dans ma tête et tout de suite,  ça a immédiatement pris une certaine place, ça c'est lové exactement là où il y avait un trou dans mon âme ou plutôt une turbulence, quelque chose comme la Tache Rouge sur Jupiter. Ce truc était là depuis quoi… plus de 11 ans ? J'avais 45 ans.

 Que ce soit vrai ou faux - sauvée oui, mais toujours très surveillée parce que guérie jusqu'à quand - c'est ça le cancer,  je suis ressortie du bureau toute légère, comme si j'avais 12 ans... Non, pas 12 mais bien 56, mon âge réel dans toute sa maturité et prête pour la suite.

Les  quelques mots de cette femme m'ont fait l'effet d'une fenêtre enfin ouverte ou celui d'un train qui se remet en marche après un long arrêt. J'étais en gare depuis des années et puis voilà, au moment où on s'y attend le moins, où on croit que le paysage aura toujours cette couleur mi-angoissante, mi-banale, on est reparti. Et comme lorsqu'on patiente depuis trop longtemps que durait cet arrêt, j'ai poussé je pense, un autre de ces grands soupirs que la maladie m'a enseigné.

Les émotions qui émergent alors sont si indescriptibles, elles chuchotent en émettant si peu de décibels que j'arrive à peine à entendre ce qu'elles murmurent :  des pensées fugaces et pourtant bien réelles, tapies dans des zones top secret où je pénètre sur la pointe des pieds et en silence pour ne rien troubler.  C'est comme entrer dans une caverne : nos yeux s'habituent doucement à l'obscurité, on distingue des stalagtites, des parois humides et luisantes puis finalement des ruisseaux noirs et frais et des cristaux de quartz disséminés ça et là qu'une lueur venue d'on ne sait où fait briller... C'est beau, je vous le jure.

Je peine à trouver les mots justes qui lèveraient le voile sur ces images et j'ai du mal à les décrire. Je sais qu'elles sont là et que quelque chose a bougé. Mais bon, un pas à la fois, parfois de sept lieues, parfois de souris, pour mettre derrière moi ce qui est derrière et m'approcher plus près de ce dont rêve mon coeur.

dimanche 7 décembre 2014

Une côte en moins

Bon ben c'était seulement une bronchite.

Je m'en doutais mais quand, à la question de la  jeune médecin, vêtue d'un jogging et d'une camisole sport, 
- "Avez-vous d'autres antécédents médicaux ? "

J'ai répondu:

- "cancer du poumon et lobectomie." 

fallait voir sa tête . Tout se complique toujours à ce moment.

Si ce n'était pas si pathétique, si je ne craignais pas que ce soit prophétique, ça pourrait presque devenir un jeu : scruter la tête des autres quand je fais cet aveu et mesurer la surprise. Essayer de deviner ce qui se passe derrière ce voile qui passe devant les yeux de mon interlocuteur.  Le temps d'un soupir…

 Oui, exactement ce temps-là… 

Alors bien entendu et inévitablement, je dois passer par la radiographie. 

- "Avec vos antécédents, madame, on n'a pas vraiment le choix…"

Alors c'est reparti pour la  la petite angoisse qui chaque fois, me prend au ventre et la ronde des salles d'attente.

Celle de cet après-midi, je ne la connaissais pas,  une nouvelle clinique de plus à ma longue liste . Je dois avouer que je suis devenue une experte des radios et des scans. Plus besoin de me dire quoi enlever, comment attacher la jaquette, où mettre mes mains, quand respirer, quand expirer… je suis la patiente idéale, je ne donne pas de troubles; je ne suis pas docile, ça non mais je ne suis pas empêtrée comme au début. J'aime bien montrer que j'en connais long sur la question. Là-dedans, je suis très expérimentée. Je suis excellente pour passer des radios et je suis certainement très photogénique. Dans mon ancienne vie, du temps où j'étais une travailleuse sociale, mes copains auraient peut-être dit que j'étais  une patiente " compliante"…  Entendez une "cliente" qui donne pas de troubles, qui poigne pas trop les nerfs, qui s'adapte. 

Ouache. Pas du tout mon genre. 

C'est toujours bien pour le personnel. Ils sont contents, ils aiment ça. Vous savez, y'a des bons patients, y'a des  mauvais patients. Entendez ça du point du vue du personnel.  Moi, comme j'aime bien qu'on m'aime, je ne veux pas qu'on me brasse trop alors leur faire plaisir et leur montrer ma collaboration, ça m'arrange. Personne ne crie ou baisse rapidement la tête de lit ou appelle l'infirmière-cheffe, comme dans les films, celle avec la grosse aiguille. Je suis "compliante" donc, mais pas trop. Juste ce qu'il faut.  J'ai ma dignité.

Donc, j'attends. Et comme  j'ai beaucoup de temps à tuer, j'observe et ça m'occupe. Ça me donne aussi de la contenance et ça m'évite de trop penser à d'éventuels clichés pourris… Dans cette clinique de banlieue, spécialisée dans le dépistage du cancer du sein, je note que les techniciennes dansent un ballet plutôt désorganisé ; elles se croisent et se décroisent, vont d'une salle à l'autre, marchent d'un pas stressé et anxieux, un dossier orange ou rose à la main - les roses, je gage que c'est les mammographies - une vraie ruche. Je me dis que ces femmes-là doivent être brulées à la fin de la journée. J'espère qu'elles ont pas à se taper le souper en plus.
Les alvéoles font même partie du décor, des petits cubicules numérotés où on nous dirige et où on nous demande de nous changer. 

- "Attendez ici qu'on vienne vous chercher."

Pas question. Je me change oui, mais je sors.  Pas question de rester assise sur le bout des fesses, dans cette pièce minuscule, en jaquette bleue comme dans un confessionnal, comme une petite fille en pénitence. Je prends mes affaires sous le bras et vais m'asseoir sur des sièges que j'ai repérés en entrant.

Une dame, au moins la soixantaine avancée est moins rebelle et demande à la préposée si elle doit rester là, dans son petit trou, sur son petit banc. On lui répond que oui. Je vois sa tête qui sort et je l'invite à prendre un siège près de moi en faisant une blague sur notre âge et les confessionnaux.  Elle refuse en riant.
Ben c'est ça. 
Une autre québécoise bien élevée. 
Reste dans le confessionnal. 
L'obéissance des femmes dans la soixantaine me met les nerfs en boule…
C'est pas comme ça qu'on va lutter contre l'austérité...


Je me mets à penser que j'ai des petits dossiers oranges ou beiges ou verts un peu partout. Des petits bouts de mon existence éparpillés dans toutes les cliniques de la région, réduites à des clichés de mon appareil respiratoire. Des dizaines de photos, de profil, de face, en tranches, colorés ou noir et blanc… J'imagine pendant un moment les spécialistes ( chèrement payés, une moyenne de 600 000$ par année ) qui regardent la chose, complètement absorbés oui, mais totalement indifférents à la chaire qui enveloppe l'ossature et à la tête de la fille tout en haut.

On me demande d'entrer dans la salle de radio. Revoilà la machine - j'évalue l'engin d'un coup d'oeil - et les questions usuelles et puis tiens, une technologue pas trop discrète qui me dit, on observant la qualité du cliché qu'elle vient de faire ( inspirez - expirez ): 

- "On vous a coupé une côte ? C'est bizarre, ça !"

Ah ben oui, tiens, je l'avais oubliée celle-là. On m'a coupé un bout de côte pour faire de la place aux mains de la chirurgienne.

Familière la dame. Je marmonne quelque chose, elle insiste :

- "Habituellement, on ne coupe pas la côte, il y a assez de place…" 

Je réponds : 

-"Pourquoi ? Vous êtes radiologue ? Chirurgienne ? "


Moi, je veux bien qu'on traficote mon intimité profonde, qu'on regarde jusque dans le fond de mes organes pour y repérer au mieux la bronchite, au pire de petits crabes. Je me prête au jeu facilement, je fais pas d'histoire, mais quand on se met à commenter mes blessures de guerre alors que j'ai rien demandé, je ne joue plus et pire, je débarque. J'ai mes susceptibilités quand même. On n'est pas mise sous le coeur-poumon artificiel pendant quelques heures sans dommages collatéraux.  Alors voilà. N'en déplaise à tous mes anciens camarades, je m'avoue pas  "compliante" du tout et je sors les griffes. 

Sur mes blessures, bas les pattes ! Gardez vos distances.
Je peux mordre et la gentille patiente se transforme en monstre.
Je vous l'ai dit : les dames obéissantes me tapent sur les nerfs.

mercredi 5 novembre 2014

La vague

Comme elle est bonne cette vague de fond, celle qui avance, qui lave tout, qui emporte tout sur son passage !

Cette vague de paroles de filles levées debout, qui dévoilent et dénoncent, cette multitude de femmes qui enfin, parce qu'elles sont nombreuses et ensemble et semblables, ont moins peur.

Qu'il a été long le chemin pour nous mener là ! Tous ces silences, ces mots étouffés, ces confidences murmurées ! Comme il a été long le chemin qui nous a fait passer par dessus les rires gras, les silences, les quolibets, les claques, les insultes !

Toutes les fois où on s'est senties coupables ! Malgré le féminisme, malgré notre militance, malgré nos combats !

Toutes les fois où on s'est tues ! Parce que les autres, parce que la job, parce que l'amitié.

On dirait que je respire enfin, que je respire pour mes soeurs, pour mes amies, pour toutes celles-là. On dirait que je peux expirer loin, loin de moi, toutes ces fois-là, celles où je n'ai rien dit, et je peux dire maintenant que ce n'est pas moi, que ce n'est pas ma faute, que j'avais le droit de m'insurger, de crier, de refuser.

Elle est bonne et salvatrice la vague qui emporte tout, celle qui a fait sauter la digue qui retenait tout et nous pourrons enfin y baigner nos blessures et renaître et nous sentir fortes et fières et eux, ils n'auront plus le droit et devant notre courage infini, ils ne pourront que passer leur chemin et nous laisser libres et pures et nous n'aurons plus peur.

Non, nous n'aurons plus peur.








mercredi 17 septembre 2014

Valse-hésitation

La valse hésitation, la relation amour/haine que j'entretiens avec facebook se cristallise avec la rentrée et je ne sais pas si je vais durer… ou plutôt si vous allez durer. :-D
Je vous aime beaucoup mais… la même urgence me saute dessus lorsque je déroule le fil à chaque matin : "il faut lire ceci ; ça, c'est à conserver absolument ( Mais où bordel ? Où ?) ; mon dieu, je ne savais pas ça! ; je devrai revenir absolument là-dessus dans mon cours"…. et ça continue, ça continue, ça continue comme ça sans fin et ça se déroule indéfiniment…

Bref, internet, si je n'y prends garde me met continuellement devant l'évidence  que je ne sais rien et que je n'en sais pas assez, que je manque plein de choses, que je ne lis pas suffisamment, que je n'y arriverai jamais, qu'on est toujours en retard... bref je suis face à ma couardise et mon incapacité à tout suivre, à être assez disciplinée pour passer toute les nouvelles et les articles importants en revue, à les lire à fond… Bref, bref, bref, je serai toujours en retard sur quelque chose. Vous n’avez pas cette impression, vous ? Non ? Ah, c’est bien ce que je me disais…

Quand en plus on voit poindre - enfin, poindre, que dis-je ! Quand on voit s'élever devant nos yeux les montagnes  qu'il nous faudra grimper durant les prochains mois, quand toutes les horreurs de la planète et des hommes s’étirent indéfiniment, c'est quasiment rendu la cause de mes insomnies. La ménopause finalement aurait peut-être moins à y voir que je ne pensais ? Et j’aurai pris toutes ces hormones pour des prunes et d’éventuels cancers intraitables ? C’est pas des hormones qu’il me faut, c’est un grand séjour dans les bois, loin de tout ce bruit. Mais oh… si je suis dans les bois, qui me dira où va le monde ? Hésitation je vous dis. Conflits intérieurs.

Et ça, c'est sans compter les statuts pas trop aimés, moi qui suis une  indécrottable insécure, ou alors les commentaires sur vos statuts tombés dans l'oubli, peut-être parce qu'ils sont trop niais, peut-être parce qu'ils contredisent des affirmations, peut-être parce qu'ils ne sont pas ceux que vous attendiez ou tout simplement parce qu'ils ne sont pas lus ? Je me demande alors pourquoi je réponds à tous ces ballons lancés dans le cyber-espace et jamais rattrapés. Dire que dans ma très grande naïveté, je pensais que facebook permettait la grande rencontre, l’ultime rencontre de l’humanité ! Ah, si on était dans une fête quelconque, c'est certain, je tournerais les talons, j'embarquerais dans mon char et je rentrerais chez nous en braillant comme un veau que personne ne m'aime !

Alors j'en suis à me taper les doigts lorsque je partage trop vite, à me demander que signifie tel ou tel silence, à mettre tout en signet, à modifier mes paramètres de confidentialité, à effacer ce que je pense, à hésiter avant de dire des bêtises - oui, ça quand même c'est mieux pour les amitiés - ou encore à supprimer ceux vous trouverez naïfs pour finalement me plaire à regarder vos photos de minous et de bébêtes - même les araignées, c'est rendu que je les trouve jolies, c'est vous dire -à rire de vos blagues, à admirer les oeuvres d'art ou les poésies de certains et à pouffer des mots d’esprits des autres… finalement  toutes choses que je trouve jolies et bonnes pour le moral, pour tout ce qui  ajoute un peu de légèreté et d’amitié dans cette lourdeur.  

Mais pendant que je fais ça, je ne m’occupe pas du « monde » et de la révolution qu’il faut faire alors voilà :  c’est reparti pour la culpabilité que certains s’entraînent parfois à nous inoculer à petites gouttes et comme je suis un être poreux et que ma chape de protection est trouée de partout, j'en deviens imbibée à souhait, suffisamment pour ressembler à une vieille guenille molle et lourde qu'on peine à faire sécher. Comme l'automne et l'hiver frappent à nos portes mal isolées et que l'humidité et le frette n'ont jamais fait bon ménage, j'aimerais me prémunir un peu.

J'en suis finalement à me dire que facebook me rend malade et que je devrai bientôt mettre la clef dans la porte ou alors n'ouvrir la fenêtre que de temps en temps… mais alors, à cause des fameux algorythmes auxquels j'y comprends rien, on risquerait de ne plus s'y croiser  et comme malgré tout, je suis tombée en amour avec quelques personnes ici, j'ai beaucoup trop peur de tomber dans l'oubli.

Ah…… la valse-hésitation je vous disais.



mardi 25 février 2014

La prochaine fois, je crie.

C'était la dernière fois, la vraie de vraie.
C'est la dernière fois que ça arrive sans que je ne bouge, sans que je n'ouvre la bouche, sans que ma main ne s'élève, sans que je ne crie à l'insanité.

Cette fois-ci, l'homme certainement âgé de plus de 65 ans participait à une assemblée tenue par des citoyens et citoyennes. J'y étais aussi et j'animais cette rencontre en compagnie d'une camarade.

Ils étaient quelques uns comme lui, venus là pour parler de ce qu'ils vivaient avec les établissements qui s'occupent de leurs enfants handicapés. De bons messieurs quoi. Des hommes sensibles. Enfin, une certaine sensibilité et pour certaines choses seulement semble-t-il. Pour au moins un de ceux-là en tous cas.

À la fin, tout le monde s'est levé. On s'est remercié, on s'est dit à la prochaine et là, c'est bien ça, c'est ça oui, le type a claqué une main sur mes fesses. J'ai pas rêvé. Non, non. C'était un geste un peu contenu, sa main a hésité comme s'il  prenait conscience de la portée de ce geste, de son incongruité mais il m'a bien mis une main aux fesses. Et moi, ben j'ai rien dit.

En pleine réunion. Devant plusieurs personnes. Tsk.

Aujourd'hui, quelques jours après cet évènement, le nombre de jurons qui me passent par la tête quand je repense à cet individu, c'est pas possible. Pas possible de retenir ça. C'était la fois de trop.

C'était rien pourtant. Presque rien, trois fois rien.  Un vieux cochon qui peut pas se retenir de mettre la main là où elle n'a pas d'affaire, comme on dit.

Mais c'est la dernière fois. Il est temps maintenant pour moi de dire : "c'est la dernière fois qu'on me touche comme ça. "

La prochaine fois, le prochain, je le mets en boîte. Devant tout le monde. Je lui saute dessus et je lui arrache les yeux. Le prochain entendra ce que les autres aurait dû entendre. Je sais me contenir, les années sont là pour le trouver, enfin là-dessus je sais me contenir, c'est bien ça le drame mais là, le prochain m'entendra.

Pour ce gars dans ce bar qui voulait constamment "m'embrasser." ( On embrasse quand on aime. Lui voulait juste tirer un coup. ) Ces grosses lèvres rouges et humides.  Son haleine puante. Juste un baiser disait -il. J'étais jeune, personne ne m'avait appris à me défendre. J'ai eu cette belle éducation qu'une fille ne doit pas se mettre en colère. De toute façon, c'était un géant. Je ne savais que détourner le regard. Mais il insistait, insistait, insistait.

Pour cet autre qui menaçait de me sauter dessus à la sortie. La seule fois où je me suis mise en colère. Cette fois-là, c'est moi qui suis passée pour la folle. Pour cet autre encore qui a juré de me violer.  Oui! De me violer !

Je me souviens aussi très bien, très précisément de ce cousin de ma mère toujours prêt à me donner un "lift" quand j'étais mal prise. Un jour, devant la maison de mes parents, en descendant de la voiture, je me souviens de tous les détails, il a posé sa main sur ma poitrine; j'ai compris alors son empressement à vouloir "m'aider".  Je pourrais presque sentir encore sa grosse patte sur mon sein. Cet autre cousin tellement admiré de tous et qui lui…lui... ah non, tiens, ça ne se raconte même pas tant j'ai honte. Honte de n'avoir pas réagi. C'était au décès de mon frère.

Il y a aussi eu cet animateur de la Ville de Laval, qui encore plus ostensiblement que mon type d'il y a quelques jours, m'avait claqué une fesse devant tout le monde, en plein colloque, lors de la pause, me laissant complètement bouche bée et gênée. Gênée pourquoi ? Il a perdu sa job, tiens. Consolation.

De celui-là me soufflant à l'oreille "beau pétard" alors que j'essayais maladroitement mais honnêtement d'apprendre mon métier et d'animer correctement une réunion. De cet autre, qui me regarde dans ce café et se léchant goulument les lèvres. Dégueulasse, vraiment.

Jamais eu d'aide de personne. Jamais aucune parole de personne. Les femmes doivent toujours se défendre seules et on se rend vite compte, si on réagit, de qui portera le blâme...

Écoeurée et en colère. De mon silence, de mon impuissance, de mon malaise. Comment, c'est moi qui vivrait l'inconfort? Figée, gelée sur place. Mesurant à la vitesse de l'éclair les conséquences d'un éclat de voix bien senti, d'une parole bien placée...

Mais là, vraiment ras-le-bol, ras-le-pompon, ras-le-cul des niaiseries des gars, des gestes déplacés,  de leurs cochonneries, sans gêne aucune. Des libidineux.

Je le ressens de plus en plus, oui, et dans ma chair beaucoup plus qu'avec ma tête : les femmes sont des être "publics" et tous ont des droits sur nous :  droit de commenter, de toucher, d'embrasser, de tâter, d'humer, de tripoter, de claquer, de frôler, d'embrasser, de baiser, de violer même.

Mais là, ça suffit.
La prochaine fois, je crie.
Et comme je l'ai beaucoup retenu ce cri, ça risque de faire pas mal de bruit.
Vous êtes avertis.





mercredi 19 février 2014

Ceci n'est pas un blogue


C’est pas un blogue.
C’est un journal.
Un  long rouleau qui défile et j'y déroule mes états d'âmes,  des ronces entremêlées et accrochées à ma peau.

C’est pas un blogue.
C’est un journal intime que j’expose aux grands vents.


On ne peut pas toujours garder les guerres à l’abri des regards.
Ceci n'est pas un blogue.
Ceci est un journal.


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Il y a longtemps, une bête a mangé une partie de mon cœur.  
Je m’en souviens très bien parce que j’ai vu le trou qu’elle y avait creusé.
Le sang a giclé et je me souviens de ma terreur.
La bête a grignoté un  bout de mon cœur.


J’ai eu peur oui, et de toutes mes forces, je l’ai arrachée. 
J’ai poussé ce long cri de rage et de haine pour la bête et ma voix a empli les alentours. 
Le genre de cri qu'on entend la nuit.
Et l’air a tremblé. 
Je m’en souviens parce que j’ai frissonné sous ma robe.

La blessure de la bête  est encore là. 
Je lisse parfois ce tracé dans ma chair d’un doigt léger.
Je fais attention parce que c’est une blessure de guerre. 
Un petit trait creux sur la peau.  
Presqu’une vergeture.

J’ai  revue la bête dernièrement.  Tapie, silencieuse elle avait presque échappé à ma vigilance.

Insouciante que je suis ! Quand je pense que  j’ai failli ne rien voir!

Mais là, je fourbis bien mes armes...  
J’attends.
J’organise en douce l’embuscade et la prochaine bataille.
Et cette fois, je gagnerai la guerre.
Je gagnerai la guerre.
L'amazone que je suis devenue veille. Nuit et jour.

Et pour le reste, tout le reste, à cette minute, dans cet instant, quand je pense aux combats qu'il faudra livrer, tout le reste je m’en contre-crisse, si vous saviez!
À la place, je refais mes forces et la musique, pendant la permission que je m’accorde, porte mon cœur ; alors le reste, je vous le redis, à ce moment précis, le reste, je m’en contre-crisse royalement.

https://www.youtube.com/watch?v=ymk6YJKftpg

jeudi 13 février 2014

Ça fait cinq ans aujourd'hui.



Il y a cinq ans aujourd'hui, mon petit frère Guy nous quittait pour toujours, mordu mortellement par le cancer du poumon, une saleté, une cochonnerie, une maladie abominable qui frappe sans avertissement et presque toujours sans espoir.

Guy n'avait que 45 ans. C'était un être d'exception, un musicien, un artiste, un enseignant, un créateur, un frère aimé. Le plus jeune de nous cinq.

J'ai éprouvé pour ce frère, une tendresse profonde. Lorsque ma mère revint de la maternité avec ce tout petit bébé, tout de suite l'amour m'envahit. J'ai joué avec lui, je m'en suis occupée et longtemps, nous nous sommes tenus par la main. Je l'ai aimé sans condition même pendant ses 13 ans, quand il a reporté sur moi sa colère d'adolescent. 

Guy aimait le bois, la bière, ma mère, la photo, mes enfants, le cinéma, faire de la musique, être entouré de monde, cuisiner, jouer à Diplomatie et à Donjons Dragons, critiquer, se coucher tard, préparer des fêtes pour ses amis, penser différemment de la masse, faire le sérieux et pêcher avec mon père et mes frères. 

Par devoir de mémoire, je publie ici un texte que j'ai écrit peu de temps après son décès, envahie par la peine et la tristesse d'avoir perdu une des personnes les plus importantes pour moi. 

Tu me manques, mon frère. Je t'aime. 
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Faire face avec toi à la maladie et aux traitements, avec toi et mieux encore, mon frère: toute ta douleur, nous aurions été capables de la prendre en nous pour t’en affranchir tant nous nous sentions inutiles, tant nous voulions te voir libre et soulagé.

Je ne pouvais que me tenir près de toi. Plus près encore. Plonger dans tes yeux, y lire ce que tu brûlais de dire. Chaque parole pèserait moins lourd sur ta poitrine et j’étais prête à tout entendre, ne te l’ai-je pas dit?
Je regardais tes mains, quand tu étais hagard et perdu. Je comparais nos mains, nos doigts, nos articulations. J’ai cherché et retrouvé les signes de fraternité. Oui, tu es bien mon frère.

Faire face avec toi et à tout. Faire face au monstre de la maladie, pallier tes pertes, te protéger, adoucir ton jour, l’heure présente, cette minute-ci, celle qui suivra. J’ai guéri du cancer, tu en mourais doucement ; comment vivre avec cela? Je voulais recueillir ta peine, entendre gronder ta colère, mener à tes côtés ta révolte. Je voulais être proche, toute proche, avec toi, toujours.

Tu circulais dans les couloirs, le moins diminué possible, tout petit, amaigri mais si vif! Mort ou vif. L’ambiguïté de la maladie, quand on est aux soins palliatifs, tu n’en voulais pas, il fallait choisir, et puisque tu étais vivant… il fallait vivre! Tu étais fier et digne et j’étais fière de toi.

Je te  serrais dans mes bras avec toute la tendresse et l’amour dont j’étais capable. Mes bras autour de tes épaules. Mes deux bras autour de toi. J’ai embrassé ton front. Examiné ton visage. Posé ma main sur ta poitrine pour mieux sentir ton coeur battre, pour être encore plus près de ton corps frêle mais palpitant du désir de vie. Plus près du coeur, là où se terre la peur: je voulais l’entendre et la prendre sur moi.

Plus proche, laisse-moi être plus proche encore.

Laisse-moi tenir ta main, comme lorsque nous étions enfants, laisse-moi appuyer ma tête contre la tienne, dans cette chambre où le signal bref des machines rythme les secondes qui s’écoulent. Tu es si grave, si concentré. Je sais que tu penses: « il faut guérir, il faut aller mieux, il faut pouvoir vivre encore ».

Tout petit devant la science colossale et chercher à endiguer une maladie démesurée, débridée, impossible à contenir. David contre Goliath. Tu m’as demandé de t’accompagner dans la salle de radio, je t’ai vu, minuscule, consentir à la grande médecine, j’ai vu mon frère, cet indépendant,  s’abandonner aux mains d’inconnues tranquilles et expertes, un lit pneumatique le soulève, l’immense mécanique, encore les bruits des machines, les lumières, le masque sur ton visage derrière lequel se cache l’inquiétude. À quoi penses-tu? Est-ce que tu pries, toi athée? Mon frère tout à coup obéissant, lui l’insoumis, l’affranchi, l’émancipé. Voilà que je découvre ta fragilité devant ton médecin – un puissant - toi pourtant debout devant tous les hommes, toi le plus courageux de nous cinq, celui qui n’avait peur de personne.

J’ai été avec toi, mon frère, j’ai été comme je suis, j’ai fait face comme j’ai pu, moi guérie, toi si triste et en colère, si déterminé, j’ai fait de mon mieux, malgré l’injustice. J’ai tenté d’être ton bouclier, comme tu me l’as demandé, mon petit frère. J’ai fait comme j’ai pu. Je le jure.


Guy et moi vers 1978