mercredi 4 février 2015

Une toute petite phrase

Je suis allée voir ma médecin généraliste il y a quelques jours. Je spécifie "généraliste" parce que je vois aussi annuellement une spécialiste, chirurgienne-thoracique et oncologue, de la grosse pointure ça, non ? Mais là,  c'était pour les petits trucs habituels, les petites vérifications banales, le petit ordinaire, rien d'excitant.

On a jasé un peu parce que, même en ne me posant que ses questions d'usage,  cette femme va toujours un petit peu plus loin que la réponse brève que je lui fais. C'est une scientifique, une bonne médecin.

Alors que je lui expliquais à quel point les quelques semaines avant les scans de contrôle sont difficiles à vivre pour moi, à quel point ces moments-là sont anxiogènes jusqu'à me rendre folle, jusqu'à me faire oublier qui je suis et à me transporter hors de mon corps pendant des jours, elle m'a regardée et m'a dit en souriant : " Mais tu es guérie, Anne Marie".

Juste cette petite phrase. C'est entré dans ma tête et tout de suite,  ça a immédiatement pris une certaine place, ça c'est lové exactement là où il y avait un trou dans mon âme ou plutôt une turbulence, quelque chose comme la Tache Rouge sur Jupiter. Ce truc était là depuis quoi… plus de 11 ans ? J'avais 45 ans.

 Que ce soit vrai ou faux - sauvée oui, mais toujours très surveillée parce que guérie jusqu'à quand - c'est ça le cancer,  je suis ressortie du bureau toute légère, comme si j'avais 12 ans... Non, pas 12 mais bien 56, mon âge réel dans toute sa maturité et prête pour la suite.

Les  quelques mots de cette femme m'ont fait l'effet d'une fenêtre enfin ouverte ou celui d'un train qui se remet en marche après un long arrêt. J'étais en gare depuis des années et puis voilà, au moment où on s'y attend le moins, où on croit que le paysage aura toujours cette couleur mi-angoissante, mi-banale, on est reparti. Et comme lorsqu'on patiente depuis trop longtemps que durait cet arrêt, j'ai poussé je pense, un autre de ces grands soupirs que la maladie m'a enseigné.

Les émotions qui émergent alors sont si indescriptibles, elles chuchotent en émettant si peu de décibels que j'arrive à peine à entendre ce qu'elles murmurent :  des pensées fugaces et pourtant bien réelles, tapies dans des zones top secret où je pénètre sur la pointe des pieds et en silence pour ne rien troubler.  C'est comme entrer dans une caverne : nos yeux s'habituent doucement à l'obscurité, on distingue des stalagtites, des parois humides et luisantes puis finalement des ruisseaux noirs et frais et des cristaux de quartz disséminés ça et là qu'une lueur venue d'on ne sait où fait briller... C'est beau, je vous le jure.

Je peine à trouver les mots justes qui lèveraient le voile sur ces images et j'ai du mal à les décrire. Je sais qu'elles sont là et que quelque chose a bougé. Mais bon, un pas à la fois, parfois de sept lieues, parfois de souris, pour mettre derrière moi ce qui est derrière et m'approcher plus près de ce dont rêve mon coeur.